4 juillet 2024

Bob c: Un journaliste peu orthodoxe, avec une large audience

« Gran boulva. Ces deux mots sont quasiment connus de tous, et se révèlent être d’un symbolisme en Haïti. Tel un rendez-vous tacite, l’émission « Gran Boulva » animée par le joiurnaliste Roberde Céliné plus connu sous le sobriquet Bob C, monopolise les cadrans aux premières heures du jour. 5h 30 dans la matinée, c’est un Bob C vigoureux, énergique et pleine de fougue qu’on entend sur les ondes de la radio Caraïbe, que ce soit dans une radio dans le voisinage, dans un bus, ou encore dans les retentissements un peu faible d’un téléphone portable dont le propriétaire n’a pas honte d’exhiber, dans le but d’auditionner l’émission. Adulés par certains et répugnés par d’autres, Bob C, du haut de sa carrière de journaliste et de ses longues années d’expérience à la radio Caraïbes, a fini par élargir son audience au point où, même critiqué pour ses méthodes peu éthiques, il est devenu l’un des animateurs de radio les plus écoutés sur la bande FM. Vedette pour plus d’un, Bob C est pourtant dénommé « abolotcho » par d’autres.

En effet, nombreux sont ceux qui critiquent la manière de faire du journaliste, arguant justement que ses méthodes ne s’apparentent nullement à celles d’un vrai journaliste. « Pou mwen Bob C se bòz l ap fè chak maten. Gen anpil jèn k ap vini la  ki renmen metye jounalis la; Bob C te ka itilize popilarite l la pou l oryante jèn sa yo, epi gide yo pou metye a te ka gen pi bon pwofesyonèl. M pa kwè se sa yo aprann moun nan lekòl jounalis yo pa bò isit, e menm nan lòt peyi ». Telles sont les déclarations de Stéphanie, une jeune dame qui avoue avoir eu l’habitude d’écouter celui qui semble être devenu la nouvelle idole du peuple depuis un certain temps.

Le journaliste est celui dont la profession est de rassembler des informations, de rédiger un article ou formaliser un reportage afin de constituer (présenter) des faits devant contribuer à l’actualité et à l’information du public.

Le travail du journaliste réside à priori dans la collecte d’informations (documentations), puis le traitement et la rédaction aux fins de publication ou de reportages (audio, vidéo, photo et écrits).

Toutefois, on ne peut en aucun cas négliger certains concepts inhérents au genre journalistique, tels que :

– L’objectivité

– L’honnêteté

– L’impartialité et la neutralité 

Il est évident que Bob C est animé d’un grand souci d’informer la population. On n’en saurait disconvenir. Cependant, sa désinvolture, sa légèreté dans le traitement des informations, et son manque de rigueur laissent à désirer. A chacun son style et son mode opératoire; n’empêche qu’il y a des caractéristiques clés au métier du journalisme dont on ne peut passer outre. « Bob C manke pwofesyonalis lakay li. Li pa posib pou yon jounalis ap voye monte konsa nan yon stasyon radyo pifò moun ap koute konsa. M souvan tande yo di jounalis pa gen kan; jounalis pa gen bò; li kontante l bay enfòmasyon an jan l ye a, san defòme, san detou, san voye monte. Se kontrè tout sa m di yo la m reyalize Bob C ap fè chak maten » avance un autre individu interrogé dans le cadre de ce travail. Une description qui porte à croire que le journaliste serait beaucoup plus dans le sensationnel.

Le sensationnalisme ( appelé parfois journalisme jaune quand il xoncerne la presse) désigne l’exploitation systématique par une partie des médias du goût pour le « sensationnel » d’une partie du public (« ce qui produit une forte impression de surprise, d’intérêt, d’admiration »). Ces médias, pour des raisons d’image, d’audience, ou de commerce usent de « procédés » dramatisant  certains événements ou éléments d’information. Via le choix d’un titre, du vocabulaire, de la typographie, de la photo, ou de l’illustration dessinée, ou par des effets rhétoriques, ils font ressortir certains éléments sordides et/ou spectaculaires pour attirer l’attention des spectateurs ou des lecteurs.

Dans le monde de l’information, certains journalistes ont tenté de lui donner plus de poids et de portée qu’elle n’en a réellement. On parle ainsi de presse à sensation, par contraste avec les journaux d’opinion, associée à la notion de journalisme de masse.

Si certains affublent de jurons le journaliste pour ses méthodes peu orthodoxes, pour d’autres il est un « chouchou ». «Mwen, se jounal  Bob C a ki toujou leve m nan kabann mwen chak maten lè m pral travay. Gen de bagay ki pase lannuit pandan moun ap dòmi, se nan jounal premye okazyon an  ou konnen l » clame haut et fort Junior, fidèle auditeur du « Gran Boulva ». Il avance plus loin « Pa egzanp, lè prezidan Jovnèl te mouri a, anpil moun  ap wounouwounou bagay la, men se lè Karayib, nan vwa Bob C konfime l mwen vin kwè. Pa gen manti nan sa, pi bon mwayen pou yon moun enfòme l nan moman an la, se koute jounal premye okazyon radyo Karayib la ».

Par ailleurs, il y ceux qui sont chaque matin suspendus aux lèvres de Bob C, ceux qui ont fini par critiquer ses méthodes et ne l’ont plus écouté, ceux qui l’écoutent malgré les critiques à son égard, et il y a ceux qui critiquent cette dernière catégorie.

En effet, après les gaffes de Bob C, les réseaux sociaux sont souvent enflammés. Les uns défendent, les autres dénoncent. Mais d’autres questionnent.

« Bon sa k fè nou koute l menm? Se toujou menm nou menm nan k ap kritike l, sa vle di se toujou menm nou menm nan k ap suiv li, tande l chak maten » commente un internaute.

« M twouve anpil moun k ap pal Bob C mal pa gen koyerans ak tèt yo. S’il vous fait autant mal, pourquoi continuer à l’auditionner? Je suis sûre qu’il y a plein d’autres émissions diffusées à la même heure que celle de Bob C. Ils ont donc le choix. Pourquoi se plaindre de leur choix »? Voilà l’avis de Mireille, jeune étudiante en journalisme à l’ISNAC. A cela, Jude répond : « Ce n’est pas parce qu’on est fidèle aux habitudes de quelqu’un, qu’on ne peut pas le critiquer quand il se laisse emporter. Bob fait un excellent travail à la radio, mais il déraille souvent. Quelqu’un comme lui qui a pignon sur rue, ne devrait pas se laisser aller à des manquements aussi futiles que les siens. Il peut mieux, et ses auditeurs ont droit à mieux ».

De nos jours en Haïti, le journalisme n’est plus ce qu’il a été dans les années 1990 et début 2000, l’époque où le journaliste était vu comme un défenseur de droits communs. L’époque où la liberté de la presse était fondée sur le rôle social qui était dévolu aux medias et aux professionnels de l’information. Un rôle qui consistait à rechercher, collecter, traiter, commenter et diffuser sans difficulté, l’information d’intérêt public nécessaire  à l’existence et au maintien de la vie démocratique.

Nous vivons à l’ère du numérique. Où ce dernier prend une grande place dans notre quotidien. L’internet donne naissance à de nombreux pseudo-journalistes. Toutes les presses sont en ligne sur des réseaux sociaux, le contexte de « Fake News », de prolifération de medias dits alternatifs et sans négliger l’aspect de carence d’école journalistique dans le pays  peuvent toutefois entrainer une baisse de qualité dans le milieu avec des journalistes qui par ignorance parviennent à ne pas respecter totalement les prescrits de la charte déontologique de la déclaration de Munich[1].

Depuis la  parution du document de la déclaration des devoirs et des droits des journalistes en 1971 à  Munich, une étape importante est  franchie dans la formalisation et la pérennisation du métier journalistique. Si l’on tient  réellement compte de la portée du document sur le droit à l’information, à la libre expression et à la critique qui, entre autres constituent la basse de la profession. Des libertés fondamentales des citoyens jusqu’à la responsabilité du journaliste vis-à-vis du public, le document  dans son ensemble peut  servir de guide dans l’exercice  de  la fonction. Et, par-delà même les libertés  et les principes qui sont traités, il faut reconnaître que la mission d’information comporte bien des limites.

On peut considérer le journaliste Roberde Céliné comme l’un des journalistes séniors en Haïti; montrer l’exemple devrait être l’une de ses priorités. Il ne devrait pas se confondre aux autres qui se font appeler journaliste alors qu’ils ne maîtrisent ni les valeurs, ni les pratiques du métier. En outre, compte tenu de son aura, celui qui a plus de dix ans d’expérience au sein de la radio Caraïbes pourrait faire montre d’un peu moins de désinvolture, et manifester  plus d’intérêt envers sa profession, mais aussi envers ses auditeurs.

NB : Les noms utilisés dans le texte sont des noms d’emprunt.

NB : Il a été impossible de joindre le journaliste Roberde céliné en question dans le cadre du travail


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