Détournée par des mains politiciennes et expertes, la lutte des jeunes contre le régime de Lescot, si elle a abouti au renversement du gouvernement, n’a pas atteint les ob- jectifs fixés par ses leaders. Le nouveau pouvoir contrôlé par l’armée a fait avorter la révolution qui était en marche.
Depuis 1946, les grandes crises politiques, économiques ou sociales qui se sont suc- cédées, n’ont jamais été résolues de manière à opérer les transformations profondes par l’adoption de vraies politiques publiques capables de moderniser le pays et d’ins- taurer une nouvelle forme de gouvernance démocratique. Les intermèdes connus sous Estimé, Magloire et Duvalier, si on peut les considérer comme des périodes relative- ment stables, n’ont pas permis d’institutionnaliser l’État de façon durable. En 1946, en 1956 et comme en 1986, les revendications des masses populaires et les mouve- ments des intellectuels progressistes se sont toujours heurtés à la résistance des forces réactionnaires pour maintenir le statu quo par des palliatifs, tels le changement de constitution et la tenue d’élections générales. Or, toutes les crises aiguës de ces soixante dernières années, sont toutes nées des élections frauduleuses organisées par un groupe politique et social pour se pérenniser au pouvoir.
Sous l’empire de la Constitution de 1987, la République a connu sept Présidents pro- visoires: Henri Namphy ( 20 juin 1988-17 septembre 1988), Prosper Avril (17 sep- tembre 1988-10 mars 1990), Ertha Pascal Trouillot (13 mars 1990-7 février 1991), Joseph C. Nérette ( 8 octobre 1991-19 juin 1992), Emile Jonassaint (12 mai 1994-11 octobre 1994), Boniface Alexandre (29 février 2024 – 14 mai 2006), Jocelerme Pri- vert ( 14 février 2006 – 7 février 2017) et quatre Premiers Ministres assumant seuls les charges du Pouvoir Exécutif sans Président de la République : Marc Louis Bazin ( 16 juin 1992-15 juin 1993), Robert Malval avec un président empêché en exil (2 sep- tembre-15 décembre 1993), Claude Joseph ( 7-20 juillet 2021) et Ariel Henry actuel- lement en fonction sans les Chambres Législatives, sans un Pouvoir Judiciaire fonc- tionnel, sans aucune autorité de l’État ayant un mandat populaire garantissant une lé- gitimité.
Bientôt vingt longs mois depuis la débâcle criminelle du 7 juillet 2021 et la Répu- blique Haïtienne vit dans une déconstruction totale de l’État tandis que s’installe un chaos qui se construit à l’aune d’un incivisme effarant. Ni la Constitution de 1987 amendée, jadis en vigueur, ni aucune loi particulière n’a prévu pareil embroglio.
Quel est le constat?
Il y a une rupture de la linéarité constitutionnelle, d’où est née la crise politique deve- nue une crise totale. Il y a une incompatibilité flagrante entre les prescrits d’une constitution et l’exercice du pouvoir en période de transition comme celle-ci. Il y a une situation spéciale au niveau de la gouvernance de l’État et personne ne peut dé- terminer l’attitude du droit face à un cas d’exception. C’est la nature même de toute période transitionnelle de développer des mécanismes consensuels et une capacité à franchir une étape à une autre à partir d’objectifs non ambigus, tout en se dotant de moyens légaux appropriés.
Pour réussir cette transition, il faut reconnaître que la République est sous un régime spécial, un régime d’EXCEPTION. Comment prétendre se doter d’une nouvelle constitution tout en appelant à respecter les dispositions d’une constitution dont la vi- gueur naturelle a été anéantie par la force des événements et le temps. Il convient dès lors, de restituer à l’État ses droits souverains par l’exceptionnalité de la gouvernance politique et administrative dans le seul but de rétablir l’ordre constitutionnel avec l’exercice de l’universalité des droits du citoyen par les urnes.
Comment faire ?
Face au vide constitutionnel et juridictionnel, c’est le rôle dévolu aux accords poli- tiques pour suppléer à la carence institutionnelle. Tout accord politique consensuel- lement adopté, et régulièrement publié au journal officiel Le Moniteur, devrait être considéré comme la Loi des parties qui s’impose aux pouvoirs publics, pourvu que le salut de peuple soit la seule loi qui guide les acteurs politiques et sociaux. Un accord politique est en réalité une législation d’exception. Malheureusement, d’accords en désaccords, le pays peine encore à s’accorder sur une position nationale en vue de ré- tablir la confiance et de corriger les erreurs du passé. Si la coopération internationale est nécessaire dans la résolution de cette crise, l’action haïtienne est impérative pour préserver la République.
Par un acte de puissance publique, l’urgence pressante aujourd’hui est de doter la Ré- publique d’un Gouvernement d’Exception, puisque la signature de l’Accord du 21 décembre 2022 a consacré, de fait, la démission du cabinet ministériel solidairement responsable de cette déconfiture nationale caractérisée, si ce n’est une reconnaissance tacite d’un résultat non satisfaisant de la part de la coalition gouvernementale. L’heure est au consensus à trouver mais non à une unanimité impossible à forger. Il faut donc résolument et patriotiquement, jeter les bases de la RÉFORME RÉVOLU- TIONNAIRE, une vraie révolution tranquille à l’instar de celle du Canada en 1960 et de l’exemple du Rwanda au prisme des transformations exceptionnelles opérées après le génocide douloureux de 1994.
Un dégel de la situation politique par l’émergence d’une nouvelle gouvernance inté- rimaire consensuelle favoriserait l’adoption de mesures concrètes, contre ce terro- risme du nouveau genre qui viole, pille, brule et tue impunément sous les yeux mou-rants ou complices de ceux et celles qui détiennent de fait et par exception l’autorité de l’Etat.
Ce nouveau gouvernement devrait pouvoir mettre le pays en alerte générale et décla- rer l’ÉTAT D’EXCEPTION, disposition différente de l’ÉTAT D’URGENCE et de l’ÉTAT DE SIÈGE. Quelle que soit la théorie de l’interprétation juridique à laquelle on adhère, l’état d’exception peut être considéré comme la force du droit en extension pour protéger l’ordre sociétal et garantir la paix des familles. C’est un dilemme apo- rétique en droit mais qui trouve sa justification dans le besoin essentiel de porter as- sistance à un peuple en danger comme c’est le cas chez nous à présent.
Je considère que nous sommes dans une situation unique et inique. L’état d’exception n’est autre qu’une réaction au fait; c’est un passage obligé pour protéger les citoyens et ramener l’ordre public. C’est ce qui a été fait aux USA après les actes terroristes du 11 septembre 2001 avec le PATRIOT ACT, le MILITARY ORDER, le MILTARY COMMISSIONS ACT, en Grande Bretagne avec le PREVENTION OF TERRO- RISM ACT et le TERRORISM BILL, et en Colombie pour contrer les FARC en 2002.
Somme toute, ceux qui aujourd’hui ont les responsabilités d’État, ne peuvent pas se croiser les bras et laisser mourir la population. Dans cette calamité publique, il faut agir. Et pour gagner la Paix, il faut d’abord gagner la GUERRE.
Ensemble, Maintenant !
Emmanuel Ménard
Haïti, Ce 7 Mars 2023.